Notre cabinet, fort de son expérience d’accompagnement de l’élaboration de projets territoriaux de santé mentale – PTSM – au sein de trois régions différentes (PTSM des départements de Loire-Atlantique, de Seine-et-Marne, de l’Oise, de l’Aisne, du Val d’Oise), d’accompagnement de la mise en place de plusieurs conseils locaux de santé mentale – CLSM – dans les Hauts-de-France, et d’accompagnement de différents établissements hospitaliers spécialisés en psychiatrie dans l’élaboration de leur projet médico-soignant (EPSM Caen et CH Guillaume Régnier Rennes), a développé une expertise en santé mentale et de solides compétences en matière d’accompagnement des territoires sur cette thématique spécifique, qui se pose aujourd’hui comme un enjeu majeur de la santé publique.
Les chantiers de demain, en santé mentale, en lien avec les textes d’orientation nationaux (feuille de route santé mentale et psychiatrie), régionaux (Projets Régionaux de Santé) et les besoins constatés sur les territoires, devront articuler le rôle et les compétences des différents acteurs de la santé mentale sur les objectifs prioritaires suivants en termes d’accès aux soins et d’inclusion sociale :
- Le développement de la prévention – Dans une logique d’extension de la psychiatrie à la santé mentale, les actions de repérage précoce et de sensibilisation de la population générale aux troubles psychiques doivent être renforcées. Des dispositifs visant à aller au-devant des personnes en amont et dès les premiers signes de troubles psychiques devront être mis en place, en lien avec les soignants du premier recours au premier rang desquels les médecins généralistes, avec l’Éducation nationale, la Protection Maternelle Infantile, la médecine du travail, souvent en première ligne de la prévention et du repérage. Ces acteurs, non spécialistes, devront être davantage formés et outillés et la coordination avec les acteurs de la prise en charge en psychiatrie devra être améliorée.
- L’amélioration de l’accès aux soins psychiatriques – Dans un contexte de forte pénurie de psychiatres en établissements publics et de faible densité en milieu libéral en dehors des grandes métropoles, les délais d’accès aux soins en psychiatrie publique sont aujourd’hui très insatisfaisants. La dynamique des PTSM pousse pourtant encore la psychiatrie à se mobiliser sur de nouveaux sujets (prévention, coordination, précarité, personnes migrantes…). L’enjeu, outre la revalorisation de la profession, l’attractivité des stages pour les internes, et les aides à l’installation, sera aussi de tenir compte de la rareté des ressources pour les employer à bon escient, et favoriser, autant que possible, les alternatives à la présence de psychiatres. L’arrivée prochaine sur le marché de l’emploi d’IPA (infirmièr.e.s de pratiques avancées) en psychiatrie pourra permettre de décharger les psychiatres d’un certain nombre de leurs actions. Le développement de la télémédecine, s’il ne doit pas remplacer la relation présentielle soignant – malade, socle de la prise en charge en psychiatrie, devrait également ouvrir le champ des possibles : mise en place de téléconsultations entre professionnels de la psychiatrie et des ESSMS ou du premier recours, suivi des patients entre deux consultations en CMP, etc… Le remboursement de forfaits de consultations par des psychologues, expérimenté dans le cadre du dispositif Écout‘Émoi est une piste qui pourrait être développée et concourir à améliorer l’accès à des prises en charge plus « légères », parfois suffisantes. Le renforcement du rôle des soignants du premier recours dans le suivi des patients stabilisés, et leur coordination avec les professionnels de la prise en charge psychiatrique est également une piste à travailler.
- L’accompagnement sur la thématique du logement – L’accès à et le maintien dans le logement est une des conditions premières de la fluidité du parcours. Trop de personnes restent, plus que nécessaire, hospitalisées en attente d’un hébergement, et au sein du secteur médico-social, trop de personnes encore sont admises à temps complet en hébergement institutionnel faute de places en habitat diffus/ éclaté au sein de la cité. Dès les premiers temps des accompagnements, en psychiatrie et dans le secteur médico-social, la question du logement doit faire l’objet d’une attention accrue de la part des professionnels. L’évolution des modalités de financement des établissements et services médico-sociaux, qui tend à rendre possible des accompagnements plus souples et plus modulaires, devrait favoriser l’intégration de structures d’habitat diffus dans leur organisation. Des initiatives existent déjà en ce sens et sont probantes au niveau de l’inclusion sociale des personnes concernées.
- L’amélioration de l’accès à l’emploi – Si l’insertion dans le droit commun des personnes handicapées, que ce soit au niveau de leur scolarité, de leur formation ou de leur carrière, est un objectif affiché du gouvernement, bon nombre de freins restent encore à lever pour que cet objectif soit réaliste et ne laisse pas de côté les plus fragiles. Le Dispositif Emploi Accompagné (DEA) est un formidable levier pour l’intégration des personnes en situation de handicap dans les entreprises ordinaires, à la condition que les spécificités du handicap psychique soit prises en compte au niveau de la communication vers les entreprises, de la formation des accompagnants et de l’individualisation des accompagnements. Un des enjeux sera également de prendre en compte, avec humilité, les limites du droit commun : pour certaines personnes en situation de handicap le milieu ordinaire ne sera pas pertinent, ce qui implique que les équipements en structures adaptées continuent à proposer des prestations spécifiques à destination du public du handicap psychique, d’autant que les troubles psychiques ont des répercussions très variables et évolutives sur la capacité à occuper un emploi.
- L’amélioration de l’accès aux soins somatiques – Les personnes souffrant de troubles psychiques sévères et durables ont une prise en charge de leur santé somatique plus insatisfaisante que la population générale. La maladie et les traitements médicamenteux sont des facteurs de risque pour la santé somatique et l’espérance de vie de ces personnes est plus faible que celle de la population générale. Plusieurs facteurs expliquent ce manque de suivi somatique : une difficulté pour les personnes concernées à se mobiliser, une réticence de certains professionnels à les prendre en charge, et des modalités de consultations parfois inadaptées à leurs besoins spécifiques (durée, attente, crainte, nécessité d’être accompagné…). Un travail est à faire pour définir et promouvoir des modalités de soin somatique plus adaptées, en prenant en compte le risque de stigmatisation induit, pour mieux former les professionnels du premier recours et du champ sanitaire en établissements aux troubles psychiques et à ses effets sur le corps, pour mieux informer les personnes concernées, mais surtout mieux les accompagner tout au long de leur parcours de vie dans le maintien d’une prise en charge somatique adaptée. Ce travail doit passer par une amélioration du lien entre les médecins traitants et les acteurs de la prise en charge psychiatrique.
- La prise en charge du vieillissement – Le vieillissement de la population a des répercussions sur les établissements psychiatriques et médico-sociaux. En psychiatrie, la mise en place depuis 2017 dans la maquette du DES de psychiatrie d’une surspécialisation en psychiatrie du sujet âgé, ouvre la voie de prises en charge spécialisées sur le terrain (équipes mobiles, services d’hospitalisation dédiés, coordination avec la filière gériatrie), encore trop rares mais efficaces. Dans le secteur médico-social, se pose la question des modalités d’accueil en EHPAD de malades psychiques vieillissants, mais aussi de l’évolution des projets d’établissements pour adultes handicapés afin de continuer à les accueillir dans l’âge avancé.
- Une gestion accrue des « cas complexes » – L’attention portée sur les parcours de vie des personnes souffrant de troubles psychiques doit rendre possible des concertations facilitées lorsque ces parcours se révèlent plus complexes. Ainsi, les commissions « cas complexes » mises en place au sein des CLSM ont démontré leur efficacité en matière de mise en lien des différents acteurs. À l’échelle des départements, les Dispositifs d’Appui à la Coordination devraient également organiser une gestion spécifique des cas complexes. Il faudra donc veiller à ce que les spécificités du public de la psychiatrie soient bien intégrées dans le dispositif.
- Le renforcement du soutien aux aidants – Les aidants sont reconnus comme des acteurs piliers de notre système d’entraide, qui repose sur l’équilibre entre intervention publique et solidarités familiales. Les pouvoirs publics ont pris conscience de l’importance de l’enjeu de construire des réponses adaptées dédiées aux aidants, afin de rendre possible la continuité de leur soutien, notamment en matière de prévention des risques pour leur santé, mais aussi de prévention des ruptures dans le parcours des aidés. La stratégie nationale de mobilisation et de soutien en faveur des aidants 2020 – 2022, vient réaffirmer la place des aidants comme une priorité nationale, et propose une approche transversale aux aidants de personnes âgées et de personnes en situation de handicap. Dans le champ de la santé mentale, le développement de dispositifs d’accompagnement des aidants (information, formation, orientation) mais aussi de répit, encore trop rares, est très attendu par les familles de malades. Le vieillissement des aidants, qui sont souvent une des conditions du maintien des malades psychiques au domicile, devra également amener des réponses spécifiques.
Différents appels à projets nationaux et régionaux se mettent en place ou ont été annoncés pour soutenir des initiatives autour de ces chantiers. La mise en place de dispositifs de réhabilitation psychosociale coordonnées entre les acteurs de la psychiatrie, mais aussi du secteur social et médico-social ; un travail sur l’organisation des CMP infanto-juvéniles et de psychiatrie générale de manière à améliorer les délais d’accès aux soins et à renforcer leur rôle pivot sur le territoire ; le soutien à l’innovation, seront les leviers de demain.
Il reste donc à mettre en œuvre tous ces projets contenus dans les feuilles de route des PTSM