IL EST URGENT D’ADAPTER LES PRATIQUES ET LES ORGANISATIONS POUR FAIRE UNE PLACE AUX USAGERS.

Les consultants du cabinet Acsantis contribuent aux grands débats de fond sur les évolutions du système de santé. 
Ici le point de vue d’Audrey Petit, docteure en sociologie, et de Dominique Dépinoy, médecin généraliste et président d’Acsantis, sur le déploiement de la démocratie en santé et sur ses conséquences.
Le sujet sera en outre au cœur du Cahier d’Acsantis numéro 2, prochainement disponible.

Constatant un décalage entre les intentions et les faits, l’an II de la démocratie sanitaire a été annoncé avec la loi de santé de 2016. Celle-ci renforce la place de l’usager dans le système de santé en instaurant de nouveaux droits aux patients et en affirmant le rôle des instances de démocratie sanitaire. Ces évolutions législatives visent à favoriser l’exercice des droits individuels au-delà d’une simple représentation. La démocratie sanitaire a ainsi vocation à faire évoluer les relations entre professionnels de santé et usagers, en proposant une opportunité de changement pour que se rencontrent les savoirs expérientiels et scientifiques et que se modifient durablement les pratiques professionnelles et les organisations.

Les évolutions sociétales contribuent à l’émergence de la figure du « patient contemporain ».

D’une part, les évolutions épidémiologiques ont contribué à l’émergence d’une critique de la biomédecine et du modèle paternaliste de la relation soignant/soigné par les associations de patients et les intellectuels. Le vieillissement de la population, le rôle accru des aidants et la chronicisation des pathologies nécessitant une intervention pluridisciplinaire et une prise en charge au long cours en ambulatoire ont contribué à placer le médecin dans une logique d’accompagnement tout au long de la vie et non plus de simple traitement de la maladie. D’autre part, les évolutions technologiques donnant accès à l’information pour tous ont permis aux patients d’acquérir une expertise modifiant leur relation au monde médical. En effet, Internet a participé à l’émergence de deux types d’information : l’information médicale (professionnelle) et l’information de santé (grand public, non spécialisée) dont la production échappe à la profession médicale. Des échanges entre patients ou individus non malades à travers les blogs, les sites personnels, les forums, les listes de discussion, les sites communautaires ou encore les réseaux sociaux participent de l’émergence d’un « savoir expérientiel ». Dès lors, les professionnels doivent apprendre à faire avec les interrogations et suggestions des patients sur leur propre statut. La remise en cause des frontières de l’expertise qui l’accompagne, a renforcé l’empowerment des patients et appelle un modèle de relations partagé et interactionnel. Ce changement de paradigme suppose de réduire l’asymétrie d’informations, d’établir une relation fondée sur l’écoute active et l’autonomie de la personne, de favoriser une co-construction des décisions médicales et de garantir la capacité des patients à exercer leurs droits.

Il est urgent d’adapter les pratiques et les organisations pour faire une place aux usagers.

Le premier levier pour faire évoluer les pratiques réside dans la formation initiale et continue des professionnels de santé. L’ambition est d’inscrire les compétences spécifiques à la démocratie en santé dans les référentiels de formation et de les transmettre dans tous les cursus. Quelques initiatives s’attachent à faire participer les usagers aux formations des professionnels de santé comme par exemple le projet PACTEM (Patients acteurs de l’enseignement en médecine) de l’Université de Lyon ou à développer des diplômes Universitaire de Démocratie sanitaire comme à l’Université Paris VI.

Un autre levier concerne le développement à plus large échelle des organisations qui mettent en œuvre des outils et pratiques pour mettre le patient au cœur de sa prise en charge dans une logique de parcours de santé. On peut évoquer en exemple les expériences d’éducation thérapeutique, collectives ou individuelles ou encore les concertations soignants/soignés autour de plan personnalisé de soins ou de santé. Les institutions de santé peuvent aussi accélérer ces évolutions en intégrant la démocratie sanitaire dans leurs normes et recommandations et dans les évaluations des pratiques. La reconnaissance de cette compétence dans les fiches de postes, la mise en place de réunions de médiation professionnels/ usagers, la participation des usagers aux RCP (réunions de concertation pluridisciplinaires) ou encore des processus d’appropriation de la démocratie sanitaire interne aux établissements (réunions organisées, plateforme collaboratives…). Autant d’initiatives à recenser et à développer.

In fine, la nouvelle place accordée par le législateur à l’usager dans le système de santé doit s’accompagner de la mise en place de nouvelles formes de collaboration, de coopération, de mobilités et de distributions de la connaissance entraînant une reconfiguration de la relation de soin et d’une redéfinition des zones de pouvoirs.

Docteure Audrey Petit – sociologue de la santé, consultante Acsantis
Docteur Dominique Dépinoy – médecin généraliste, président d’Acsantis